collège Philippe de Vigneulles (Metz)

arrestation et déportation : le témoignage de Monsieur Tiné.

Les raisons de mon engagements.

« Je suis né en 1926 à Woippy. Nous étions cinq enfants. J'étais le second. Chez nous, il y avait un sentiment anti-allemand très fort. On le tenait de nos parents qui avaient connu la première annexion. L’annexion de 1940, ça été la honte. On ne faisait plus partie de la France, on subissait une occupation très dure. Mais nous les jeunes, on était remonté, on était fou, on était révolté, inconscient mais on voulait défendre la France. Les Allemands nous ont renvoyé 3 mois à l’école pour nous mettre leur propagande dans la tête. Il nous obligeait à faire le salut nazi mais j’ai jamais dit « Heil Hitler », j’ai reçu des coups mais je l’ai jamais dit. On avait l’amour de sa patrie, on connaissait la Marseillaise par cœur et on la chantait. Quand on voyait un allemand, il fallait le saluer ; nous, on changeait de trottoir. Aux réunions, aux cérémonies, on n’y allait jamais. A 16 ans, on devait entrer dans une organisation de propagande allemande, la Hitler Jungen ; je suis allé aux premières réunions surtout pour regarder qui venait et pour leur casser la gueule à ceux de Woippy qui étaient là, avec les copains le soir. J’ai réussi à y échapper en devenant sapeur-pompier. En plus, ça me permettait de sortir la nuit avec mon sauf-conduit.


Mon frère René, avait 20 ans . Très vite, il entra dans le mouvement L’Espoir Français. Et moi avec lui. C’était même le chef du groupe sur Woippy. La Résistance, c’était pas comme dans la France de l’intérieur ; les Allemands étaient partout. On était près de la gare. On les harcelait sans cesse ; on entaillait les flexibles de freins des trains, on mettait du sable dans les godets de graissage, on changeait les panneaux qui indiquaient les chargements. Un jour, mon frère m’a demandé de surveiller les trains qui passaient du pont de chemin de fer qui était près de la maison, je comptais les trains, notais les heures, notais les chargements des trains de marchandises etc.…. c’était devenu ma tache.

On cherchait aussi à se procurer des armes. Mon frère, René, travaillait au dépôt militaire Sainte –Agathe de Woippy. Il faisait passer des armes par-dessus le mur et on allait les récupérer la nuit.......Les armes, on les cachait dans la cave. Mes parents se doutaient bien qu’il se passait quelque chose avec tout ce va-et-vient, mais ils ne disaient rien. …… En juillet 1941, le réseau a été vendu. Mais mon frère a pu s'échapper le soir même. Dès le lendemain, la Gestapo était là. Assez vite, on a su qu’ils étaient à l’abri de l’autre côté de la frontière, ça nous a rassuré et bien sûr, on n’a rien dit aux Allemands. Ils m’ont convoqué quatre fois, et une fois, bien molesté, mais nous n’avons rien dit ………. Après, mon activité diminua. Il fallait que je me tienne à carreau. J’ai continué à faire du sabotage de trains notamment. Puis j’ai rejoins mon ancien instituteur, Monsieur Copeaux, responsable du réseau de Résistance de Woippy et Maizières. J’ai contribué à distribuer des tracts, à faire passer des aviateurs et des prisonniers évadés.



En janvier 1943, j’ai été arrêté et déporté avec toute ma famille. La Gestapo nous a laissé une heure pour préparer nos sacs. Nous avons été emmenés sous la garde de SS jusqu’à la gare de marchandise de Metz. Beaucoup de monde comme nous ,« mauvais allemands-bons français » malgré la germanisation , attendaient. Après des heures , nous fumes jetés avec cris et hurlements dans des wagons archicombles……Peur et rage…..voila ce que j’ai ressenti. Le voyage dura deux jours et trois nuits pratiquement sans nourriture ni eau. Nous étions transis de froid dans des wagons glacés. Notre terminus fut la Haute Silésie Panewnick, près d’Auschwitz…. Nous arrivâmes dans la nuit et le brouillard, dans une mise en scène savamment orchestrée par les nazis, et dans un mètre de neige…..parqués dans un ancien couvent, tri, appel, couchettes en bois superposées, sac de paille en guise de matelas, couverture à partager, puces et punaises en prime……cela dura le temps de la quarantaine. puis nous avons été dirigés au camps de Franckenstein, nous étions environ 200 hommes, femmes et enfants parqués sous la même toiture. Les conditions e vie étaient les même que précédemment : mauvais lits et crasse, et un seul four pour tout le monde… maigres repas, bouillon en guise de soupe, et les fameux rutabagas….. … 12 heures de travail par jour à l’usine. Moi, je travaillais dans un atelier de réparation comme mécano, formation que j’avais suivie avant la guerre. Les patrons arboreraient les insignes nazis mais il n’était pas rare que je trouve des biscuits secs dans les véhicules que je devais réparer….. à la barbe des nazis qui nous surveillaient..

En avril 1944, je venais d’avoir 18ans et en temps que Mosellan et enfant du Reich, je devais entrer dans la Wehrmacht, certainement pour le front russe ……je refusais de signer mon incorporation,cris, menaces, je reçus des coups de pieds, de poings,…...je signais puis plus tard déchirais….. à nouveau torture, avalanches de coups,de cravaches… je sombrais dans un état de faiblesse, semi comateux… .je fus alors condamné à mort pour « faits de résistance , incitation à la rébellion et refus caractérisé de servir l'armée allemande ...» avec exécution immédiate.... Traîné dans une cellule de carrelage blanc éclaté de balle , ce carrelage est à jamais gravé dans ma mémoire, déshabillé complètement , face au mur, les yeux bandés, je sentis le canon froid d’un revolver sur ma nuque…..mais le soldat ne tira pas . pourquoi ? je ne le saurais jamais. J’étais vivant mais cette arme sur ma nuque me hantera toujours.

Ma peine fut commué en bagne à vie , à la forteresse de Glatz. « Tu crèveras la dedans » me cracha à la figure un SS. Qui n’a pas passé le porche d’un camp , ne peut pas comprendre ce que l’on ressent,…. la peur, la haine,……… l’indifférence voir l’hostilité de ces inconnus. Bien sûr, ce camp n’était ni Auschwitz ou Mauthausen, mais ces petits camps étaient des annexes et des commandos de travail de ces grands camps ou la répression était érigée en système. Il n’y avait pas de chambre à gaz mais le but était le même : notre extermination. Mourir de façon rentable, par le travail , l’exploitation, le manque de nourriture, les conditions d’hygiène, la promiscuité morbide,….minés par la maladie, la diarrhée, le typhus, dévorés par les poux, les punaises, la vermine…..odeur de tombeau et d’horreur….épouillage, tonsure, costume de bagne, matricule 151832 autour du cou…. « racaille française » avec un triangle rouge et un F peint sur le dos …… on vivait chacun pour soi, dans l’atroGrascité, la barbarie, l’isolement sauvage… Ma vie n’était faite que d’ombres et de cris : bruits des portes qui s’ouvrent et se referment, hurlements de fous, cris déchirants de détenus torturés, plaintes ressemblant à des râles. Et pour ajouter à cette situation tragique, l’incertitude du lendemain, le poteau ou le bagne. ……….Des interrogatoires fréquents interrompaient notre sommeil.

Je redoutais par-dessus tout les interminables appels en rang, nus, exténués, au garde à vous pendant des heures….Je n’étais plus conscient de la défaillance physique dans laquelle je m’enfonçais toujours davantage. Privé de nourriture et soulé de travail et de coups, je subissais sans aucune réaction…











ce témoignage très dur a été écrit à partir de l'interview de Monsieur Tiné venus nous rencontrés alors que nous étions en cinquième, et du livre de ses souvenirs "Le silence qui durait 40 ans".

photo1 : site mairie de Metz
document 2 : affiche de propagande de la Hitler Junge
dessin 1 auteur inconnu : le voyage vers les camps.
dessins 2 et 3, d'Henri Gayot, déporté au Struthof en Alsace.
dessin 4 d'un enfant de Térezin
cet article a été écrit d'après les souvenirs de monsieur Tiné.